Mad Men

Albert Caporossi
4 mai
8 min de lecture

Dernière mise à jour : 9 juin

Dans la série Mad Men, le personnage de Don Harper a un problème avec la boisson.   On abordera la série par le sujet de l'addiction sous un angle philosophie et sociologique. On verra aussi que l'acteur qui joue Don Harper a lui-même un problème avec l'alcool.

**Don Draper, miroir d'une époque et d'une société**

L'addiction à l'alcool dans Mad Men

  Cette semaine, nous vous emmenons dans les années 60.  La série télévisée Mad Men, créée par Matthew Weiner, a marqué l'histoire de la télévision par sa représentation minutieuse des années 1960 et son exploration profonde des thèmes sociaux et psychologiques de l'époque.  Au cœur de cette fresque se trouve le personnage énigmatique de Don Draper, brillant publicitaire dont la vie est profondément affectée par son addiction à l'alcool. Cette dépendance, omniprésente tout au long de la série, sert de prisme pour examiner les mœurs d'une société en pleine mutation et les tourments intérieurs d'un homme en quête d'identité.

 Don Draper est l'archétype du publicitaire tourmenté. Interprété magistralement par Jon Ham, il incarne le rêve américain et ses contradictions. Issu d'un milieu modeste, il a construit sa carrière et son identité sur un mensonge, usurpant l'identité d'un officier mort pendant la guerre de Corée.

Cette dualité fondamentale du personnage se reflète dans son rapport à l'alcool, à la fois outil de socialisation professionnelle et échappatoire à ses démons intérieurs. Draper est présenté comme un homme charismatique, créatif et séduisant, mais profondément troublé. Son addiction à l'alcool est intimement liée à son passé traumatique et à son imposture identitaire. L'alcool devient pour lui un moyen de fuir la réalité, d'oublier momentanément qui il est vraiment, tout en lui permettant de maintenir l'image du publicitaire brillant et sûr de lui.

L'alcool comme reflet d'une époque

Dans Mad Men, l'omniprésence de l'alcool n'est pas anecdotique. Elle reflète fidèlement les mœurs des années 1960, où boire au bureau était non seulement toléré mais souvent encouragé. Les réunions, les déjeuners d'affaires et les soirées sont systématiquement arrosés, illustrant le rôle central de l'alcool dans les relations professionnelles et sociales de l'époque. Cette représentation soulève des questions sociologiques importantes sur la place de l'alcool dans la société américaine des années 1960 :

Normalisation de la consommation excessive : La série montre comment l'abus d'alcool était banalisé, voire valorisé, dans certains milieux professionnels.

Rôle genré de l'alcool : La consommation d'alcool est souvent présentée comme un attribut de la masculinité, un moyen pour les hommes d'affirmer leur statut et leur pouvoir.

Alcool et créativité : Mad Men explore le mythe de l'alcool comme catalyseur de la créativité, particulièrement dans le monde de la publicité.

L'addiction de Don Draper : une perspective philosophique

L'addiction de Don Draper peut être analysée sous un angle philosophique, notamment à travers le prisme de l'existentialisme. Sa dépendance à l'alcool peut être vue comme une manifestation de l'angoisse existentielle, un moyen d'échapper à la liberté et à la responsabilité qui en découle.  Jean-Paul Sartre aurait pu voir en Don Draper l'incarnation de la mauvaise foi, ce mensonge à soi-même qui permet d'échapper à l'angoisse de la liberté. L'alcool devient pour Draper un moyen de fuir l'authenticité, de ne pas affronter la vérité de son existence.  Albert Camus, quant à lui, aurait pu interpréter l'addiction de Draper comme une forme de révolte contre l'absurdité de l'existence. Dans cette perspective, l'alcool serait une tentative désespérée de donner un sens à une vie dépourvue de signification intrinsèque.

 Jon Ham : quand la fiction rejoint la réalité

La relation entre Jon Ham et son personnage de Don Draper prend une dimension particulière à la lumière des problèmes d'alcool de l'acteur. En 2015, peu avant la diffusion des derniers épisodes de Mad Men, Jon Ham a suivi une cure de désintoxication pour traiter son addiction à l'alcool.  Cette coïncidence troublante entre la fiction et la réalité soulève des questions sur la façon dont un rôle peut influencer la vie personnelle d'un acteur. Jon Ham a passé près d'une décennie à incarner un personnage profondément marqué par l'alcoolisme, ce qui a pu avoir un impact sur sa propre relation à l'alcool.  L'expérience de Ham met en lumière les défis auxquels sont confrontés les acteurs lorsqu'ils incarnent des personnages complexes et tourmentés sur une longue période. Elle souligne également la façon dont l'art peut parfois imiter la vie, et vice versa, créant un dialogue complexe entre fiction et réalité.

 L'impact sociétal de Mad Men

Au-delà de son statut de série culte, Mad Men a eu un impact significatif sur la perception sociétale de l'alcoolisme et des addictions en général. En montrant de manière crue et sans fard les ravages de l'alcool sur la vie de Don Draper et d'autres personnages, la série a contribué à une prise de conscience collective sur les dangers de la dépendance. Mad Men a également permis de mettre en lumière l'évolution des attitudes envers l'alcool au travail. Si la consommation excessive était normalisée dans les années 60, la série a montré comment cette culture a progressivement évolué vers une plus grande prise de conscience des risques liés à l'alcool.

Autres personnages

 Plusieurs autres personnages de Mad Men ont également des problèmes liés à l'alcool ou à d'autres addictions, reflétant ainsi la culture de l'époque et les défis personnels auxquels ils font face :

Roger Sterling

Roger Sterling, associé principal de l'agence, est probablement le personnage qui rivalise le plus avec Don Draper en termes de consommation excessive d'alcool. Son alcoolisme est présenté de manière plus légère et humoristique, mais il n'en demeure pas moins problématique :

- Il boit régulièrement au bureau, souvent dès le matin.

- Son alcoolisme a des répercussions sur sa santé, comme en témoignent ses crises cardiaques.

- Il utilise l'alcool comme un lubrifiant social et professionnel, illustrant la normalisation de cette pratique à l’époque. 

Freddy Rumsen

Freddy Rumsen est l'un des rares personnages dont l'alcoolisme est explicitement abordé et traité dans la série :

- Il est renvoyé de l'agence après avoir uriné sur lui-même, ivre, avant une réunion importante.

- Il rejoint les Alcooliques Anonymes et tente de se rétablir.

- Son parcours illustre les débuts de la prise de conscience sociétale concernant l'alcoolisme et les possibilités de traitement.

Betty

L'ex-femme de Don a également des problèmes avec l'alcool, bien qu'ils soient moins prononcés :

Elle boit souvent seule à la maison pour faire face à son ennui et à sa frustration

Son alcoolisme est plus subtil mais reflète les problèmes spécifiques auxquels les femmes au foyer de l'époque étaient confrontées

Pete Campbell

Bien que moins évident, Pete Campbell montre aussi des signes de dépendance à l'alcool :

- Il boit fréquemment pour gérer le stress et l'anxiété liés à son travail et à sa vie personnelle.

- Son comportement devient souvent erratique et impulsif sous l'influence de l'alcool.

Megan Draper

La deuxième femme de Don développe une dépendance aux médicaments sur ordonnance :

Elle commence à prendre des "pilules pour dormir" pour gérer le stress de sa carrière d'actrice.

Cette addiction reflète l'émergence de la dépendance aux médicaments sur ordonnance dans les années 1960.

Conclusion

En conclusion, Mad Men, à travers le personnage de Don Draper et son addiction à l'alcool, offre une exploration nuancé, et profonde, des complexités de la condition humaine.   La série utilise l'alcoolisme comme un prisme pour examiner les changements sociaux, les luttes intérieures, et les questionnements existentiels qui ont marqué une époque.    Le parallèle troublant entre le personnage de fiction, et l'acteur qui l’incarne, ajoute une couche supplémentaire de réflexion, sur la façon dont l'art peut influencer la vie, et vice versa.   Mad Men nous rappelle que les addictions, loin d'être de simples faiblesses individuelles, sont souvent le reflet de problèmes sociétaux plus larges, et de luttes existentielles profondes. Ces personnages, avec leurs luttes contre diverses formes d'addiction, offrent un panorama des problèmes de dépendance dans la société américaine des années 60. Ils illustrent comment l'alcool et les drogues étaient utilisés pour faire face au stress, à l'anxiété et aux attentes sociales de l'époque. La série montre également l'évolution graduelle de la perception de ces problèmes, passant d'une acceptation généralisée à une prise de conscience croissante des dangers de l'abus de substances.

Mad Men utilise ces personnages et leurs addictions pour explorer les thèmes plus larges de l'identité, de l'authenticité et de la quête de sens dans une société en pleine mutation. Chaque personnage, à sa manière, lutte contre ses démons intérieurs, utilisant souvent l'alcool ou d'autres substances comme un moyen d'évasion ou de coping face aux pressions de leur environnement professionnel et personnel.

  En fin de compte, la série nous invite à réfléchir sur nos propres dépendances, nos mécanismes d’évasion, et notre quête d'authenticité dans un monde qui valorise souvent les apparences au détriment de la vérité intérieure. Elle nous rappelle que la lutte contre l'addiction est un combat qui transcende les époques et les classes sociales, touchant au cœur même de ce qui fait notre humanité.   

L’alcoolisme 

L'alcoolisme demeure un problème de santé publique majeur, tant en France que dans le monde, malgré une tendance générale à la baisse de la consommation d'alcool dans de nombreux pays.

En France, la situation est contrastée. D'un côté, on observe une diminution significative de la consommation globale d'alcool depuis les années 1960. En 2021, 85% des adultes de 18-75 ans déclaraient avoir consommé de l'alcool au cours des 12 derniers mois, une légère baisse par rapport à 2017 (86,5%). La consommation quotidienne a particulièrement diminué, passant de 23,9% en 1992 à seulement 8% en 2021.

Cependant, la France reste l'un des plus gros consommateurs d'alcool au monde. Elle se classe au sixième rang parmi les pays de l'OCDE en termes de consommation par habitant. De plus, certaines tendances inquiétantes émergent, comme l'augmentation des alcoolisations ponctuelles importantes (API) chez les femmes, en particulier chez les 35-44 ans et les 55 ans et plus.

À l'échelle mondiale, l'Europe se distingue comme le continent où l'on consomme le plus d'alcool. Sur les dix pays qui boivent le plus au monde, neuf sont situés dans l'Union européenne. Le Portugal se démarque avec la plus forte consommation de vin par habitant, tandis que la République tchèque détient le record de consommation de bière.

Il est intéressant de noter que les habitudes de consommation varient considérablement selon les régions du monde. Par exemple, les pays d'Europe de l'Est, comme la Biélorussie et la Russie, sont en tête pour la consommation d'alcools forts.

Malgré ces chiffres préoccupants, on observe une tendance positive vers une consommation plus responsable. En France, par exemple, les consommateurs sont de plus en plus disposés à payer plus cher pour des vins de meilleure qualité, et la nouvelle génération montre un intérêt croissant pour les vins biologiques.

L'alcoolisme reste néanmoins un défi majeur de santé publique. En France, il est la deuxième cause de mortalité prématurée évitable après le tabac, avec un coût social estimé à 120 milliards d'euros par an. Ces chiffres soulignent l'importance continue des efforts de prévention et de sensibilisation aux risques liés à la consommation excessive d'alcool.