Journal d'un dégonflé (The Basket Ball Diaries)
- Albert Caporossi
- 14 juil.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 16 oct.
"La Came m'a appris que je pouvais tout supporter. Même moi."
"Journal d’un dégonflé" (titre original : The Basket Ball Diaries) est un livre autobiographique de l'auteur américain Jim Carroll. Publié en 1978, le livre décrit la décadence d'un jeune homme blanc, joueur de basket-ball prometteur dans le New York des années 1960. L'écriture d'un journal intime et la passion qu'il a pour le basket ne l'empêcheront pas de sombrer dans la dépendance à l'héroïne, de se faire renvoyer de son école ainsi que de son équipe, de se brouiller avec sa mère et ses amis...
Un film en a été tiré en 1995, réalisé par Scott Kalvert. Addictions et récits chocs !
Ce que nous racontent le film et le témoignage de Jim Caroll, c'est que l'addiction ne se résume pas à une question de volonté. Elle traverse les époques, les milieux sociaux, les cultures. Elle est multiforme, drogues, alcool, écrans, jeux, médias sociaux… Les formes varient mais le mécanisme reste le même : obsession, compulsion, isolement, perte de repères. Certaines oeuvres l’ont compris et ont su le dire sans filtre. Parmi elles, Journal d’un dégonflé est un témoignage brutal, cru, sans morale plaquée. Dans cet article, on va explorer comment les addictions sont représentées dans ce quartier de New York dans années 60, quelles questions sociales, culturelles et individuelles elles soulèvent.
C'est parti

Les visages multiples de l’addiction
Dans le Journal, la drogue est au premier plan : l'héroïne, les pilules, la colle. Mais le récit dévoile aussi des formes comportementales propres à certains profil : la recherche de défonce, la fuite permanente, l’incapacité à être simplement là, sans excitation ni angoisse. Comme une forme très destructrice. Aujourd’hui, ces dynamiques se retrouvent dans le binge drinking ou watching, l'excès de jeux vidéo, les scrolls infinis sur TikTok. L’addiction est une mécanique psychique, pas juste une question de produit.
Un contexte qui change la perception
L’œuvre se déroule dans les années 60, à New York. L’héroïne y circule comme un secret mal gardé, entre les bancs de l’église et les ruelles crades du Lower East Side. Le système scolaire catholique, rigide, ne comprend pas ces jeunes. Le manque d’écoute, la pression sociale, l’urbanisation sauvage : tout contribue à générer une génération paumée.

Faiblesse, maladie ou choix ?
Jim Carroll ne fait ni sermon ni justification. Il montre l’addiction comme un engrenage, une glissade. Ce n’est pas un choix, ni une maladie au sens médical strict. C’est une réaction : à l’ennui, à la douleur, à l’absence d’issue. Une manière de survivre à soi-même. Il écrit : « La came m’a appris que je pouvais tout supporter. Même moi. »

Des personnages loin des clichés
Jim et ses amis sont brillants, révoltés, parfois tendres. Ils sont lucides, parfois drôles, souvent perdus. L’addiction n’est pas liée à une faiblesse ou à une morale défaillante, mais à une sensibilité trop vive. L’un des passages les plus forts l’exprime ainsi : « Je me déteste tellement que je me fous de mourir. Et c’est pour ça que je suis vivant. »

L’impact relationnel de la dépendance
L’addiction coupe Jim du monde. Il s’éloigne de sa mère, instrumentalise ses amis, transforme l’amour en monnaie. Le lien devient stratégie, la confiance s’effondre. Ce n’est pas seulement le corps qui souffre, ce sont les liens, les identités.
- Témoignage: « Quand j’étais dans la dope jusqu’au cou, je pensais que personne ne pouvait comprendre. Mais lire Jim Carroll, ça m’a fait me sentir moins seul. Il ne cherche pas à rendre ça beau ou tragique. Il dit juste la vérité, brute. Et ça, ça m’a parlé. » Anonyme, ex-consommateur
Une mise en scène de l’intérieur
Deux oeuvres, deux écritures, une histoire, un témoignage. L’écriture est nerveuse, brutale, saccadée. Pas de lyrisme inutile. Dans le film la caméra est instable, l’image est souvent floue et le son distordu : le spectateur ressent physiquement dans ses tripes, l’état d’addiction. Une voix off poursuit le lien avec le journal.
Une réception contrastée
Le livre est culte dans les cercles littéraires underground. Il est aussi utilisé dans certaines campagnes de prévention pour sa puissance de répulsion. Le film a été critiqué pour avoir esthétisé la défonce, mais cette lecture est partielle : il montre surtout la solitude, la chute, l’absence de retour.

Problème individuel ou sociétal ?
Les deux. L’addiction de Jim est intime, mais elle est aussi le produit d’une époque, d’un système, d’une ville. La responsabilité ne repose pas que sur les épaules du toxicomane.
Nouvelles formes, même logique
Aujourd’hui, les addictions comportementales prolifèrent. Des séries comme Euphoria, Black Mirror ou 13 Reasons Why abordent les dépendances modernes (réseaux, médicaments, validation sociale). Le fond est le même : angoisse, vide, besoin de contrôle.
Représentations culturelles : casser les clichés
Comparaison avec Trainspotting et Requiem for a Dream
Là où le Journal d’un dégonflé nous donne un récit à la première personne, presque intime et journalisé, Trainspotting de Danny Boyle (1996) propose un regard plus collectif, plus punk, sur une bande de junkies écossais. L’humour noir y est omniprésent, la défonce prend des allures de révolte sociale. Requiem for a Dream de Darren Aronofsky (2000), quant à lui, pousse à l’extrême la représentation sensorielle de l’addiction : montage frénétique, musique lancinante, descente aux enfers sans échappatoire. Là où Carroll montre la déchéance comme un processus vécu de l’intérieur, Requiem et Trainspotting la mettent en scène comme un spectacle tragique. Trois approches, trois styles, mais une même vérité : l’addiction est universelle, polymorphe, et toujours liée à une forme de perte.
Carroll déconstruit les images faciles : le drogué minable, l’addiction comme punition. Il montre un adolescent qui pourrait être n’importe qui. Il montre l’addiction comme un cri, pas comme une faute. Et c’est ce qui rend son témoignage précieux.
Conclusion
L’addiction n’a pas un visage unique, ni de morale prêt-à-porter. Des œuvres comme le Journal d’un dégonflé montrent que l’on peut comprendre sans excuser, représenter sans caricaturer. Elles ouvrent la voie à une parole plus juste, plus humaine, sur ce qui ronge et tue en silence. Dans une époque saturée de stimulations, l’addiction se déguise en life-style. Ce regard devient alors plus que jamais nécessaire.



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