Journal d'un dégonflé (The Basket Ball Diaries
- Albert Caporossi
- 14 juil.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 21 août
Addictions et récits chocs : ce que nous racontent les oeuvres comme "Journal d’un dégonflé" (The Basket Ball Diaries) de Jim Carroll
L’addiction ne se résume pas à une question de volonté. Elle traverse les époques, les milieux sociaux, les cultures. Drogues, alcool, mais aussi écrans, jeux, médias sociaux… Les formes varient, mais le mécanisme reste le même : obsession, isolement, perte de repères. Certaines oeuvres l’ont compris et ont su le dire sans filtre. Parmi elles, Journal d’un dégonflé (The Basketball Diaries) de Jim Carroll est un témoignage brutal, cru, sans morale plaquée. Dans cet article, on s’appuie sur cette oeuvre pour explorer comment les addictions sont représentées dans les romans, films, séries, et quelles questions sociales, culturelles et individuelles elles soulèvent.

1. Les visages multiples de l’addiction
Dans Journal d’un dégonflé, la drogue est au premier plan : héroïne, pilules, colle. Mais le récit dévoile aussi une forme d’addiction comportementale : la recherche de défonce, la fuite permanente, l’incapacité à être simplement là, sans excitation ni angoisse. Aujourd’hui, ces dynamiques se retrouvent dans le binge watching, les jeux vidéo excessifs, les scrolls infinis sur TikTok. L’addiction est une mécanique psychique, pas juste une question de produit.
2. Un contexte qui change la perception
L’oeuvre se déroule dans les années 60, à New York. L’héroïne y circule comme un secret mal gardé, entre les bancs de l’église et les ruelles crades du Lower East Side. Le système scolaire catholique, rigide, ne comprend pas ces jeunes. Le manque d’écoute, la pression sociale, l’urbanisation sauvage : tout contribue à générer une génération paumée.
3. Faiblesse, maladie ou choix ?
Jim Carroll ne fait ni sermon ni justification. Il montre l’addiction comme un engrenage, une glissade. Ce n’est pas un choix, ni une maladie au sens médical strict. C’est une réaction : à l’ennui, à la douleur, à l’absence d’issue. Une manière de survivre à soi-même. Il écrit : « La came m’a appris que je pouvais tout supporter. Même moi. »

4. Des personnages loin des clichés
Jim et ses amis sont brillants, révoltés, parfois tendres. Ils sont lucides, parfois drôles, souvent perdus. L’addiction n’est pas liée à une faiblesse ou à une morale défaillante, mais à une sensibilité trop vive. L’un des passages les plus forts l’exprime ainsi : « Je me déteste tellement que je me fous de mourir. Et c’est pour ça que je suis vivant. »

5. L’impact relationnel de la dépendance
L’addiction coupe Jim du monde. Il s’éloigne de sa mère, instrumentalise ses amis, transforme l’amour en monnaie. Le lien devient stratégie, la confiance s’effondre. Ce n’est pas seulement le corps qui souffre, ce sont les liens, les identités.
- Témoignage: « Quand j’étais dans la dope jusqu’au cou, je pensais que personne ne pouvait comprendre. Mais lire Jim Carroll, ça m’a fait me sentir moins seul. Il ne cherche pas à rendre ça beau ou tragique. Il dit juste la vérité, brute. Et ça, ça m’a parlé. » Anonyme, ex-consommateur
6. Une mise en scène de l’intérieur
L’écriture est nerveuse, brutale, saccadée. Pas de lyrisme inutile. Dans le film adapté (1995, avec Leonardo Di Caprio), la caméra est instable, l’image souvent floue, le son distordu : le spectateur ressent physiquement l’état d’addiction. Une voix off poursuit le lien avec le journal.
7. Une réception contrastée
Le livre est culte dans les cercles littéraires underground. Il est aussi utilisé dans certaines campagnes de prévention pour sa puissance de répulsion. Le film a été critiqué pour avoir esthétisé la défonce, mais cette lecture est partielle : il montre surtout la solitude, la chute, l’absence de retour.
8. Problème individuel ou sociétal ?
Les deux. L’addiction de Jim est intime, mais elle est aussi le produit d’une époque, d’un système, d’une ville. La responsabilité ne repose pas que sur les épaules du toxicomane.
9. Nouvelles formes, même logique
Aujourd’hui, les addictions comportementales prolifèrent. Des séries comme Euphoria, Black Mirror ou 13 Reasons Why abordent les dépendances modernes (réseaux, médicaments, validation sociale). Le fond est le même : angoisse, vide, besoin de contrôle.
10. Représentations culturelles : casser les clichés
Comparaison avec Trainspotting et Requiem for a Dream
Là où le Journal d’un dégonflé nous donne un récit à la première personne, presque intime et journalisé, Trainspotting (Danny Boyle, 1996) propose un regard plus collectif, plus punk, sur une bande de junkies écossais. L’humour noir y est omniprésent, la défonce prend des allures de révolte sociale. Requiem for a Dream (Darren Aronofsky, 2000), quant à lui, pousse à l’extrême la représentation sensorielle de l’addiction : montage frénétique, musique lancinante, descente aux enfers sans échappatoire. Là où Carroll montre la déchéance comme un processus vécu de l’intérieur, Requiem et Trainspotting la mettent en scène comme un spectacle tragique. Trois approches, trois styles, mais une même vérité : l’addiction est universelle, polymorphe, et toujours liée à une forme de perte.
Carroll déconstruit les images faciles : le drogué minable, l’addiction comme punition. Il montre un adolescent qui pourrait être n’importe qui. Il montre l’addiction comme un cri, pas comme une faute. Et c’est ce qui rend son témoignage précieux.
Conclusion
L’addiction n’a pas de visage unique. Ni de morale prêt-à-porter. Des œuvres comme Journal d’un dégonflé montrent que l’on peut comprendre sans excuser, représenter sans caricaturer. Elles ouvrent la voie à une parole plus juste, plus humaine, sur ce qui ronge en silence. Et dans une époque saturée de stimulations, où l’addiction se déguise en lifestyle, ce regard est plus que jamais nécessaire.
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