top of page

Shame

Dernière mise à jour : 21 août

Shame est une œuvre puissante et dérangeante qui explore le thème de l'addiction sexuelle non pas comme une quête de plaisir, mais comme une pathologie compulsive, destructrice et profondément isolante.



ree


Analyse du film Shame de Steve McQueen


L'addiction centrale et quasi exclusive dans Shame est une addiction comportementale : l'addiction au sexe. L’addiction à une substance n’est pas centrale ici, mais le parallèle est fait implicitement avec d’autres dépendances (alcool, drogues, jeux, réseaux sociaux) à travers la souffrance et l’isolement du personnage principal. L'addiction sexuelle se manifeste par une compulsion irrépressible à avoir des rapports sexuels avec des inconnus, à consommer de la pornographie de manière obsessionnelle sur son ordinateur de travail, et à se masturber compulsivement. Il n'y a pas de représentation d'addiction à des substances (drogues ou alcool) de manière prédominante ; le sexe est la seule "drogue" du personnage principal, Brandon.


L'époque où se déroule l’œuvre et le contexte historique influence-t'elle la perception de l’addiction ? Indiscutablement : L'œuvre se déroule dans un New York contemporain (début des années 2010). Ce contexte est crucial. La ville est dépeinte comme un lieu d'anonymat, de connexions superficielles et de solitude existentielle. Cette métropole moderne, avec sa facilité d'accès à des partenaires d'un soir et à la pornographie en ligne, est le terrain de jeu idéal pour que l'addiction de Brandon puisse s'épanouir en secret. Le film suggère que la société moderne, hyper-connectée mais émotionnellement déconnectée, peut exacerber ce type de pathologie.


La société moderne, hyper-connectée mais émotionnellement déconnectée
La société moderne, hyper-connectée mais émotionnellement déconnectée




Stéréotypes sur l'addiction sexuelle

Sur les stéréotypes ou idées reçues véhiculés sur l’addiction sexuelle, le film brise activement les stéréotypes. L'addiction sexuelle est souvent glamourisée ou présentée comme une simple hypersexualité parfois valorisée par la voie d'une virilité exacerbée. Shame fait le contraire :

Absence de plaisir : Les actes sexuels de Brandon sont mécaniques, dénués de joie et suivis d'un profond dégoût de soi. Brandon n'est pas un marginal, pas le stéréotype de l'addict. C'est un homme séduisant, financièrement stable, avec un bel appartement et un bon travail. Le film montre que l'addiction peut se cacher derrière une façade de réussite et de normalité.

L’addiction est présentée, 
sans le moindre doute, comme une maladie psychologique grave. À aucun moment le comportement de Brandon n'est dépeint comme un choix de vie hédoniste. C'est une compulsion qu'il ne contrôle pas, une force qui le submerge et détruit toute possibilité de bonheur ou de relation authentique. Le titre même, Shame ("Honte"), souligne le fardeau et la souffrance qui accompagnent cette pathologie, et non une quelconque faiblesse morale.



Le personnage de Brandon

Les traits de caractère attribués à 
Brandon sont caractérisés par :

* L'isolement : Il est profondément seul, malgré ses nombreuses rencontres. Décrit comme un homme isolé, frustré, incapable de nouer des relations authentiques, il est à la fois faible et fort, prisonnier de ses besoins, mais aussi en quête de contrôle sur sa vie. Sa sœur Sissy, quant à elle, incarne une autre forme de souffrance, liée à l’abandon et à la recherche d’affection. L’arrivée de Sissy perturbe l’équilibre fragile de Brandon. Il a de plus en plus de mal à dissimuler sa vraie vie et à assumer sa dépendance face à sa sœur. Leur relation est marquée par la distance, la peur de l’abandon et l’incapacité à s’aider mutuellement.

* La frustration et le dégoût de soi : Chaque acte compulsif est suivi d'un sentiment de honte.

* L'incapacité à l'intimité émotionnelle : Il sabote sa seule tentative de relation saine (avec sa collègue Marianne) car il est incapable de lier sexe et affection.

* Le besoin de contrôle : Son appartement est impeccable, sa vie est méticuleusement organisée pour compartimenter son addiction. L'arrivée de sa sœur, Sissy, fait voler en éclats ce contrôle. 
L'addiction est absolument centrale dans le développement du personnage. Elle n'est pas un aspect de Brandon, elle est Brandon. Elle structure sa vie quotidienne, ses relations et sa perception de lui-même. Le film montre comment la dépendance détruit progressivement toute possibilité de lien social ou familial. Tout le film est une étude de ce personnage à travers le prisme de sa maladie. Son addiction dicte ses actions, ses pensées et ses relations.



L’addiction influence les relations du personnage avec son entourage : elle les détruit !

Avec sa sœur, Sissy : Il la rejette car sa présence vulnérable et chaotique menace l'ordre qu'il a bâti pour gérer son addiction. Leur passé traumatique commun est suggéré comme étant à l'origine de leurs problèmes respectifs, mais son addiction l'empêche de lui offrir le soutien dont elle a besoin.

Avec sa collègue, Marianne : Il est incapable de performer sexuellement avec elle lors d'un rendez-vous, car l'intimité émotionnelle réelle court-circuite sa compulsion mécanique. Il fuit cette relation qui aurait pu être salvatrice.


Avec son patron : Son addiction le met en danger professionnellement lorsqu'il découvre la quantité de pornographie sur son ordinateur de travail.


L’auteur ou le réalisateur s’inspire-t-il de sa propre expérience ?
 Ni le réalisateur Steve McQueen ni la scénariste Abi Morgan n'ont déclaré s'être inspirés de leur propre expérience. Cependant, ils ont mené des recherches approfondies, en s'entretenant avec des psychologues et des personnes souffrant d'addiction sexuelle pour construire un portrait le plus juste et authentique possible.





Sur le traitement artistique

Les procédés filmiques utilisés pour représenter l’addiction passent par

* Les longs plans-séquences : Ils créent une sensation de temps réel, d'enfermement et de malaise. Le spectateur est piégé avec Brandon dans ses rituels. Des plans fixes, une lumière froide et une ambiance oppressante pour traduire l’état addictif de Brandon. Les scènes de sexe sont filmées de façon clinique, sans érotisme, pour montrer la souffrance et le vide intérieur du personnage. L’absence de musique envahissante et les silences renforcent l’isolement.

* Le symbolisme des couleurs : Une palette de couleurs froides (bleu, gris, blanc) domine l'environnement de Brandon (son appartement, son bureau), reflétant son vide émotionnel et sa vie aseptisée.

* L'utilisation des miroirs et des vitres : Brandon est souvent filmé à travers des reflets, symbolisant sa duplicité et sa fragmentation intérieure.

* La mise en scène (lumière, musique, montage) : Lumière : Froide et clinique, elle souligne la solitude et le manque de chaleur humaine. Musique (par Harry Escott) : La bande originale est minimaliste, mélancolique et répétitive. Un thème musical lancinant revient sans cesse, mimant le cycle obsessionnel de l'addiction.

Montage : Le montage peut être lent et contemplatif pour souligner l'ennui et le vide, puis devenir frénétique et rapide lors des crises de compulsion de Brandon, traduisant la perte de contrôle. La célèbre scène de jogging où il court sans fin à travers la ville est un montage qui métaphorise sa fuite en avant désespérée. Parfois lent, il permet de ressentir la répétition et l’enfermement dans la routine addictive.

Son : L'accent est mis sur les bruits du corps (respiration, soupirs) et les sons ambiants de la ville, renforçant le sentiment d'isolement au milieu de la foule.




Sur la réception et l’impact

* Comment le public ou la critique a-t-il réagi ?
 Le film a été acclamé par la critique pour son audace, sa performance d'acteur exceptionnelle (Michael Fassbender a été unanimement salué) et son traitement sans concession d'un sujet difficile. Il a cependant été controversé auprès d'une partie du public en raison de sa nudité frontale et de ses scènes de sexe explicites, ce qui lui a valu un classement NC-17 aux États-Unis (interdit aux moins de 17 ans).


* L’œuvre contribue-t-elle à la stigmatisation ou à la déstigmatisation ? 
 Elle contribue fortement à la déstigmatisation. En refusant toute approche glamour ou moralisatrice, Shame présente l'addiction sexuelle comme une véritable souffrance psychologique. Le film humanise le personnage non pas en excusant ses actes, mais en montrant la douleur qui les motive. Il invite à la compassion et à la compréhension plutôt qu'au jugement.


* L’addiction est-elle montrée comme un problème individuel ou sociétal ?
 Elle est montrée comme un problème individuel aux racines potentiellement sociétales. La souffrance de Brandon est personnelle, probablement liée à un traumatisme d'enfance (suggéré mais jamais explicité). Cependant, le cadre d'un New York anonyme et déshumanisé, où la technologie facilite des rencontres sans lendemain et l'accès illimité à la pornographie, agit comme un catalyseur.




Passage particulièrement révélateur

Un des moments les plus poignants et révélateurs n'est pas une scène d'addiction, mais celle qui en expose la cause : la souffrance sous-jacente.

La scène : La sœur de Brandon, Sissy (Carey Mulligan), chante une version lente et incroyablement fragile de "New York, New York" dans un bar.

Description : La caméra reste longuement fixée sur le visage de Brandon dans le public. Alors que sa sœur chante avec une vulnérabilité à fleur de peau, le masque de froideur de Brandon se fissure. Pour la première fois du film, on le voit submergé par une émotion pure et non contrôlée. Une seule larme coule sur sa joue.

Pourquoi c'est révélateur :

Cette scène est le cœur émotionnel du film. La larme de Brandon n'est pas une réaction à la performance de sa sœur, mais à la douleur et à la beauté brute qu'elle exprime. C'est une douleur qu'il reconnaît, qu'il partage probablement, mais qu'il passe sa vie entière à essayer de noyer sous ses compulsions. Ce bref instant de connexion émotionnelle authentique lui est insupportable. La scène révèle que son addiction n'est pas le problème principal, mais un symptôme, un mécanisme de défense tragique contre une blessure émotionnelle si profonde qu'il ne peut la confronter. C'est la honte ("Shame") de cette vulnérabilité qu'il cherche à fuir.


Conclusion

Shame offre une représentation puissante et réaliste de l’addiction sexuelle, loin des stéréotypes et des clichés. Le film invite à réfléchir sur la nature des dépendances, qu’elles soient liées à des substances ou à des comportements, et sur la nécessité de compassion et de compréhension face à ce phénomène complexe.



Liens

Commentaires


bottom of page